Mais pourquoi, moi?
Je me suis longtemps demandée d’où venait cette passion pour le voyage.
De la mer devant laquelle je dinais tous les soirs, petite ? De mon enfance dans une ville portuaire et de son air iodé ? Des récits de voyage de ma meilleure amie dans la cour de récré ? De mes premiers voyages en solitaire, adolescente ? Des grandes virées grecques en famille ? Des bières et de la pop brit ? Des douces soirées ibériques ?...
Chaque voyage m’a enrichie, construite et, petit bout par petit bout, a fait de moi ce que je suis.
Mais pourquoi depuis toute petite, je rêvais d’aller un peu plus loin que l’horizon ? Et pourquoi avoir fait de ce grand voyage un des rêves de ma vie ?
C’est Cannelle, l’autre jour, qui m’a enfin livré la réponse, en me récitant le dernier poème appris en classe de grande section. D’un seul coup tout m’est revenue. J’entendais cette petite musique me tournait dans la tête et j’ai compris que depuis toujours ce qui m’avait animé c’était la poésie du voyage.
En sortant de l'école
Nous avons rencontré
Un grand chemin de fer
Qui nous a emmené
Tout autour de la terre
Dans un wagon doré
Tout autour de la terre
Nous avons rencontré
La mer qui se promenait
Avec tous ses coquillages
Ses îles parfumées
Et puis ses beaux naufrages
Et ses saumons fumés
Au-dessus de la mer
Nous avons rencontré
La lune et les étoiles
Sur un bateau à voiles
Partant pour le Japon
Et les trois mousquetaires
Des cinq doigts de la main
Tournant la manivelle
D'un petit sous-marin
Plongeant au fond des mers
Pour chercher des oursins
Revenant sur la terre
Nous avons rencontré
Sur la voie de chemin d'fer
Une maison qui fuyait
Fuyait tout autour de la terre
Fuyait tout autour de la mer
Fuyait devant l'hiver
Qui voulait l'attraper
Et nous sur notre chemin d'fer
On s'est mis à rouler
Rouler derrière l'hiver
Et on l'a écrasé
Et la maison s'est arrêté
Et le printemps nous a salué
C'était lui le garde barrière
Il nous a bien remercié
Et toutes les fleurs
De toute la terre
Soudain se sont mises à pousser
Pousser à tord et à travers
Sur la voie de chemin d'fer
Qui ne voulait plus avancer
De peur de les abîmer
Alors on est revenu à pied
A pied tout autour de la terre
A pied tout autour de la mer
Tout autour du soleil
De la lune et des étoiles
A pied à cheval en voiture
Et en bateau à voile
Jacques Prévert
L’invitation au voyage, plus encore que le voyage, reste le plus enivrant des poisons et le plus puissant des agents actifs de l’imagination.